Quel est le message de cette photo ?
Ses messages, devrai-je dire. Comme ces paysages dont les
reflets changent avec la course du soleil, j'ai remarqué que
l'impression qui s'en dégageait dépendait de l'humeur de mon
âme. La nuit ne m'a pas porté conseil et au matin, aucune
impression ne l'ayant emporté sur l'autre, je me suis résolu
à vous livrer toutes celles que j'avais modestement cru
comprendre.
Au début, j'ai ressenti un sentiment de malaise. J'avais
l'impression de rentrer par effraction. Cette intrusion dans une
intimité récente, en avais-je le droit ? Il y a là un bonheur
naissant, récent et fragile qui se dessine. Une éclosion qu'il ne
faut pas contrarier. J'aimerais revenir sur mes pas...
Dans cette tente exiguë, une jeune berbère assise est abîmée dans
ses pensées. A sa droite, le grand châle blanc qui la ceint laisse
entrevoir un nourrisson, ligoté dans ses langes et dormant
paisiblement. Un bébé serein auprès d'une belle femme, magnifique
dans sa simplicité.
Dix-sept printemps semblent séparer ces deux êtres. La juvénilité
de cette femme tranche avec ce regard empreint de gravité, les
yeux baissés vers un tapis mal déroulé.
Les objets dispersés ici et là, dans ce triste réduit : panier en
osier, bouilloire, tamis,... sont de première nécessité et
témoignent d'un grand dénuement. Aucun bijou n'orne la main de la
femme. La pauvreté ne compromet-elle pas l'avenir de ce bébé ? La
dignité de cette berbère m'interdit tout sentiment de compassion.
Elle ne lève pas les yeux, ne demande rien, ne se révolte pas et
semble accepter avec fatalisme le "mektoub". Je n'oublie pas que
je suis en terre "amazighe", le pays des hommes libres et fiers.
Nous sommes en 1954 dans ce Rif qui connut une famine aux
conséquences désastreuses : l'exil pour les plus téméraires, les
hommes qui quittent les villages pour travailler dans les villes.
Seuls demeurent au village les femmes, les enfants et les
"chibanis". Le mari absent, le grand-père rompra leurs solitudes
en leur rendant visite. Est-ce cette visite qui la rend si pensive ?
Je ne saurai le dire.
J'ai aussi cru qu'elle observait ces boutons de rose qui
séchaient. Ne représentent-ils pas ses rêves de jeune fille qui
s'enfuient ? Je n'en sais rien.
Et quand j'ai voulu partir en croyant avoir tout dit, j'ai vu dans
cette tente obscure, la lumière blanche de ces deux êtres
innocents. J'y ai vu toutes les mères du monde et leur amour pur
et inquiet pour le fruit de leurs entrailles. J'y ai vu enfin le
sourire angélique d'un enfant qui me semblait protégé par des
forces divines et qui symbolisait l'espoir d'un monde meilleur.
Et apaisé, ma peur s'en est allée...
Jojo
qui remercie Sonia de lui avoir soufflé, entre Dakar et
Paris, à une heure avancée de la nuit, de belles phrases qu'elle
reconnaîtra.